Connaissez-vous l’e-cat ? Cela veut dire « Energy Catalyzer ». C’est un mécanisme de fusion à froid inventé par Andrea Rossi, un chercheur italien, au début des années 2011. Ce mécanisme a été mesuré comme produisant plus de 6 fois l’énergie qui lui était injectée pour un coût de revient très faible, ce qui en ferait une des sources de production d’énergie bien plus rentable et bien plus sûre que les méthodes de production existantes.
Je sais, cela semble trop beau pour être vrai. Et ça l’est. L’e-cat est une arnaque soigneusement orchestrée par ce Andrea Rossi. Ce charlatan de grande envergure a réussi à charmer et à mystifier une partie de la communauté scientifique pendant des années, à attirer de nombreux défenseurs croyant dur comme fer à son invention et parvenant même à se faire financer des « tests » par un groupe industriel américain. L’histoire que je veux vous raconter aujourd’hui est celle de cet homme, Andrea Rossi, arnaqueur professionnel et maître du bad storytelling.
Première chose que l’on fait lorsqu’on veut écrire un article comme celui est d’aller chercher des informations sur internet. Je tape donc Rossi e-cat dans DuckDuckGo. À ma grande surprise, la plupart des résultats que j’obtiens sont tous positifs. Ils parlent de l’e-cat en termes élogieux.
Seule ligne mettant en doute les résultats, celui de New Energy Times : « Andrea Rossi and the e-cat con », en français « Andrea Rossi et l’arnaque e-cat » (et non pas le con d’e-cat). Je décide donc d’essayer la même requête avec Google France. Les résultats obtenus sont plus mitigés, mais la grande majorité des résultats soutiennent l’e-cat comme étant légitime.
Parmi les sites défendant l’e-cat on retrouve quand même des sources « sérieuses ». Tiens, sur la page DuckDuckGo il y a Forbes et Business Insider (non repris dans la capture d’écran). Me serais-je trompé ? Suis-je en train d’accuser à tort un bon et honnête inventeur ? Mon blog serait-il devenu une pâle imitation de Voici France Dimanche ? En réalité, en prenant le temps de fouiller, je découvrirai plus tard que pratiquement tous ces résultats positifs sont maintenus par des membres de la communauté gravitant autour d’Andrea Rossi. Leçon 1 de bad storytelling : pour rendre votre arnaque crédible, arrangez-vous pour être le premier résultat sur Google. Pourtant, ce n’est pas parce que c’est le résultat le plus évident de la recherche que c’est la vérité.
Mais comment Rossi a-t-il pu construire cette communauté ? Parce qu’il n’était pas seul. En effet ses travaux avaient reçu l’appui de Sergio Focardi, un physicien respecté dans la communauté des recherches sur la fusion froide. Le mec, il a fait un TED Talk putain. Pas un TEDx, un TED. Il me faut quoi comme preuve que l’e-cat est bien réel ? Personnellement bien plus, car comme on va le voir les signes d’arnaques vont se révéler bien trop flagrants. Pourquoi Sergio Focardi a-t-il apporté son soutien à l’e-cat ? C’est un des mystères qui restera inexpliqué, Sergio Focardi étant malheureusement décédé en 2013. Leçon 2 de bad storytelling : utilisez le capital crédibilité déjà accumulé par d’autres personnes. Ce n’est pas parce qu’un projet est supporté par des personnes connues que le projet n’est pas foireux. Pensez Fyre festival. Theranos. Webvan.
À la base de l’arnaque, on trouve le plus vieux truc du monde : une promesse tellement irrésistible qu’on a envie d’y croire. L’e-cat promet la fusion à froid, une source d’énergie sûre, presque inépuisable et bon marché. Pensez, même si vous habitez les Hauts de France, vous pourriez chauffer votre maison pour 10 € par an ! Cette promesse n’est pas complètement basée sur n’importe quoi. La fusion à froid est effectivement un domaine d’étude scientifique. Mais à l’heure actuelle personne n’a réussi à dépasser le stade de l’étude théorique. Alors quand un type venu de nulle part, grande-gueule, beau discours, arrive avec la solution de la fusion à froid, c’est +10 à l’arnaquemètre. Leçon 3 de bad storytelling : plus c’est gros plus ça passe. En storytelling cette technique est basée sur ce qu’on appelle la « suspension d’incrédulité ». La promesse est tellement belle qu’on accepte inconsciemment de « suspendre son incrédulité » pour y croire.
Pour vaincre les doutes, Rossi va exécuter plusieurs démonstrations publiques « indépendantes ». En science, la reproduction d’une expérience de manière totalement indépendante est un facteur essentiel. C’est le totalement qui est important, car les scientifiques savent bien que c’est la seule façon de valider une expérience sans facteur perturbateur extérieur. Et c’est bien le problème. Aucune démonstration publique de l’e-cat n’a pu avoir lieu sans que Rossi n’intervienne d’une manière ou d’une autre pendant la démonstration, surtout pendant la phase cruciale de mesure de l’énergie produite. À chaque fois qu’un expert « indépendant » va être choisi, celui-ci va s’avérer avoir des liens avec Rossi. Celui-ci s’est à chaque fois retranché derrière la même excuse : la nécessité de protéger le secret de son invention pour justifier le refus total de laisser un expert vraiment indépendant vérifier les résultats. Industrial Heat, une société créée par un investisseur pour tester la viabilité de l’e-cat, essaiera plus tard de reproduire les résultats de l’e-cat de manière totalement indépendante, et n’y parviendra jamais. Leçon 4 de bad storytelling : refuser tout contrôle externe indépendant. Ne surtout pas laisser apparaître les éléments qui pourraient révéler la supercherie.
Et pourtant des éléments étranges vont fatalement apparaître. Par exemple lorsque Rossi donne des échantillons des matières qui viennent d’être sujettes à la réaction de fusion à froid, que la personne les analyse et se rend compte qu’ils n’ont subi aucun changement d’isotope, autrement dit qu’ils n’ont absolument pas subi de réaction nucléaire. Rossi « avouera » alors avoir donné de faux échantillons pour éviter de donner accès à des données secrètes trop sensibles, toujours la même excuse bidon. Leçon 5 de bad storytelling : lorsque c’est indéfendable, avouer et déplacer la conversation sur un autre sujet. Le vrai sujet était : « les échantillons sont falsifiés, prouvez-nous que vous avez les vrais ». Rossi a déplacé la conversation sur le sujet bidon « je ne peux rien donner sans révéler de secrets ». Le fait que les données soient sensibles ne justifie absolument pas le comportement de Rossi. Ce jour-là il a été pris la main dans le sac, mais son bagou l’a encore une fois sorti d’affaire.
Au fil du temps la capacité de Rossi à accumuler les promesses grandioses n’aura d’égal que sa capacité à ne pas les respecter. Pour faire passer la pilule auprès de ses fans et maintenir le mythe vivant, Rossi va utiliser un autre stratagème vieux comme le monde : il va à chaque fois revenir avec une promesse encore plus incroyable pour faire oublier la promesse précédente. Leçon 5 de bad storytelling : pour cacher un éléphant, mettez-le derrière un autre éléphant encore plus gros.
Les personnes qui ont suivi l’arnaque e-cat depuis le début s’en souviennent. Pour prouver la crédibilité de son projet, Rossi a dit plusieurs fois au cours des ans que des e-cat étaient en exploitation commerciale par différentes sociétés, qui ont soit émis des démentis formels, soit se sont révélées être inexistantes. Au fil des ans, notre bon Rossi a « oublié » qu’il avait fait ces déclarations et les a retirées discrètement des sites web. Leçon 6 de bad storytelling : si vous n’avez pas de preuves, fabriquez-les. Puis faites en disparaître les traces.
Si à ce niveau-ci vous voulez encore croire à l’e-cat, voici l’élément qui tue. Rossi a un passé… d’arnaqueur ! Eh oui. Les personnes qui ont fait des recherches sur Rossi se sont rendu compte qu’il n’en était pas à sa première magouille. Par le passé il avait déjà vendu un projet à la ville de Milan pour produire du pétrole à partir de déchets ménagers. La ville a rapidement découvert la supercherie, puisqu’aucune goutte de pétrole n’a jamais été produite. Sincèrement, quelle était la probabilité qu’un homme au passé d’arnaqueur mette au point un produit miracle qui marche vraiment ?
Épilogue
Encore aujourd’hui, même après le procès intenté par Industrial Heat, après la disparition des clients imaginaires, le refus d’un test indépendant de son invention, vous trouverez de nombreuses personnes qui soutiennent fanatiquement l’e-cat. Peut-être même pensez-vous que l’e-cat est bien réel et que je suis, méchant, peut-être même idiot ? Aussi laissez-moi vous dire ceci. Aujourd’hui une startup parvient à lever des fonds pour vendre des étrons connectés. Si en plus c’est une blockchain d’étrons connectés alors elle est valorisée immédiatement 1 milliard de Dollars. Pour l’e-cat, si ça marchait vraiment, les groupes industriels seraient en train de faire la file pour acquérir un brevet. Rossi aurait arrêté de galérer à faire des démos pourries et à trouver des excuses à la con. Il serait milliardaire grâce aux royalties que lui auraient rapportées son invention. Le fait que ceux-ci aient refusé d’investir et que le seul qui ait accepté ait intenté un procès à Rossi suffit à discréditer définitivement l’e-cat. Pour juger un projet, seuls le concret et les actes comptent. Les diplômes, la réputation, les belles paroles, tout ça à la fin c’est même pas du flan, car le flan au moins c’est bon.