Une étude intéressante a été réalisée par l’armée américaine. Et sans LSD ni ouverture de portail dimensionnel ni aliens cachés dans la zone 51. Cette étude porte sur des créatures encore plus étranges : les cyber teams, ces équipes spécialisées dans l’attaque et la défense des réseaux numériques. Et leur conclusion est sans appel : les équipes les plus performantes sont celles qui la ferment.

Bim.

Évidemment, on connaît tous le cliché du Geek asocial face à son écran, incapable de communiquer correctement. Les cyber teams correspondent parfaitement à ce cliché. Et pourtant. Partout où je regarde, lorsque vient le moment de faire, les meilleures équipes sont celles qui la ferment.

Les meilleurs la ferment

Observons les équipes de foot ou de rugby. Sur le terrain, vous verrez qu’il y a un peu de communication orale, mais que les meilleures équipes n’ont pas besoin de parler lorsqu’elles jouent. Ce qui est assez amusant, c’est de constater que les équipes qui discutent le plus oralement sont celles qui sont en train de perdre. Elles se mettent à parler, à s’invectiver lorsque les choses vont mal. En fait, elles se mettent à privilégier la communication orale lorsque le système mis en place atteint ses limites et craque.

Même dans un sport non collectif comme l’escalade, on peut observer le même phénomène entre un grimpeur et son assureur. Un excellent grimpeur a besoin de très peu d’échanges verbaux avec son assureur. Il est complètement focalisé sur l’action, le moment présent. Il a mis en place un système mental performant pour gérer les situations difficiles. Un bon assureur comprend automatiquement les besoins du grimpeur et réagit en conséquence. À l’inverse, les « mauvais » grimpeurs parlent constamment avec leur assureur. Pour demander des conseils, mais surtout pour évacuer leur stress, masquer leurs peurs, et parce que ils ont atteint leur limite.

Idem pour les pilotes de course. Les échanges radio sont limités au strict minimum, et quelques paroles de trop peuvent perturber leur concentration. Les pilotes de rallye peuvent sembler être l’exception à la règle : leur copilote dicte verbalement des instructions très précises. Mais en réalité il s’agit d’un composant du système mis en place ; une série d’instructions extrêmement précises, codifiées et soigneusement préparées à l’avance, complètement différent d’une communication verbale spontanée.

Et en entreprise, c’est la même chose. Plus le système mis en place est efficace, plus une personne a un objectif, un rôle précis et les compétences nécessaires pour le faire, moins elle aura besoin de parler.

Vous pouvez regarder partout autour de vous. L’absence de communication orale « spontanée » et abondante est un facteur commun à toutes les situations ou une performance maximale est requise pendant l’exécution.

Loin d’être une étude scientifique, cela corrobore aussi ma propre expérience professionnelle. Lors de l’exécution, plus la personne est compétente, sait ce qu’elle doit faire et comment le faire, moins elle aura besoin de parler. Au contraire, plus la situation est floue, moins le niveau de connaissance et de compétence est élevé, plus les équipes vont se mettre à parler.

Par exemple, j’ai pu observer des jeux d’équipe avec des LEGO. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les équipes qui parlent le plus qui sont les plus performantes. Ce sont celles qui arrivent à mettre au point rapidement une méthode simple pour limiter la parole au strict nécessaire, et surtout donner un sens clair à chaque communication. La communication a par exemple bien plus de sens lorsque chaque pièce est clairement identifiée par sa nomenclature, plutôt que « prend la pièce qui ressemble à un truc penché avec un bout plat ».

Il y a un temps pour parler et un temps pour faire

Cela ne veut pas dire que les personnes qui ne parlent pas lorsqu’elles font sont asociales. Cela veut simplement dire qu’elles savent qu’il y a un temps pour chaque chose. Un temps pour parler, pendant les phases de préparation, les points de synchronisation, le post-mortem, ou simplement autour d’un café ou d’un bon repas. Et il y a un temps pour faire, pendant lequel la communication verbale est inefficace, trop lente et source de déconcentration.

L’effet multiplicateur

Il y a aussi un autre phénomène à prendre en compte : dans une équipe, le temps de communication orale tend à augmenter exponentiellement avec le nombre de participants. Très rapidement, la parole monopolise complètement l’attention de tous les participants au détriment total de l’exécution.

C’est un phénomène que l’on peut constater sur de nombreux projets : le nombre de réunions devient rapidement tellement important qu’elles prennent tout le temps disponible. Très rapidement, il devient impossible de trouver 5 minutes sans être interrompu.

Système > blabla

Si les meilleures équipes ne parlent pas lorsqu’elles exécutent, cela ne veut pas dire qu’elles ne communiquent pas. Au contraire. Elles ont mis en place un système de coordination beaucoup plus efficace que la communication orale non structurée. Et qu’elles ont éliminé le blabla inutile diminuant la performance.

Dans une bonne équipe de sport, chaque joueur :

  • connaît parfaitement sa place dans le système de jeu,
  • a un rôle précis dans ce système,
  • et est le meilleur pour jouer son rôle.

Imaginez si à la place d’un système, les joueurs devaient passer leur temps à parler pour se coordonner. Ce serait beaucoup trop lent ! Une bonne équipe a acquis toute la technique et les réflexes nécessaires lors de l’entraînement. Tout devient simple, rapide et intuitif. Au lieu de perdre son attention et son énergie à essayer de communiquer, le joueur peut se concentrer sur l’instant présent. Dans une équipe projet performante, c’est exactement la même chose.

Le vrai rôle du leader

Vu sous cet éclairage, agiter les bras, parler fort, organiser des réunions n’est plus une si bonne chose. Au contraire. Ce sont les symptômes indiquant que le système en place a atteint ses limites, ou pire, qu’il n’y a aucun système. Ces « leaders » qui donnent l’impression d’en faire des tonnes ne font en réalité qu’appliquer la pire méthode, celle de la force brute, qui surgit naturellement lorsqu’aucun système efficace n’a été bâti. La multiplication de ce type de management est un excellent indicateur d’une entreprise dysfonctionnelle, dans laquelle le management tente de compenser par le blabla ce qu’il ne peut réellement accomplir faute de compétence.

Le vrai leader saura distinguer clairement les phases de préparation, pendant lesquelles ont met en place le système, les phases d’entraînement, pendant lesquelles ont monte en compétence et on apprend à l’utiliser, et les phases d’exécution, pendant lesquelles ont la ferme et on fait !