Je ne vais pas commenter l’actualité sur l’affaire Griveaux. D’une part parce que quoi que je dise, ce sera mal interprété, d’autre part parce que je m’en tamponne le coquillard, et aussi parce que le monde entier se fiche de mon avis. Mais voilà, il y a quelque chose qui me dérange sur ce qui se passe en coulisses.
Tout d’abord, un peu de réalisme. Le dévoilement de la vie privée a depuis toujours été utilisé comme arme politique pour affaiblir la position de ses adversaires… Imaginer que cela ne puisse pas être utilisé comme arme contre vous, c’est faire preuve d’une grande naïveté pour quelqu’un qui fait de la politique. Griveaux n’est qu’un épisode sordide de plus dans le paysage pas bien reluisant de ce milieu qui se veut défenseur de l’ordre et de la morale.
Le premier truc qui me choque, c’est l’abîme qui sépare le citoyen ordinaire de l’homme politique. Je ressens un profond malaise lorsque je vois toute la classe politique se mobiliser uniquement parce que les faits touchent l’un des leurs. Et puis il y a le deuxième truc. C’est le cynisme inouï dont fait preuve le gouvernement en n’hésitant pas un seul instant à instrumentaliser ce scandale pour servir ses intérêts. Voici donc un petit exposé de comment on transforme des faits en « éléments de langage, » ces messages si chers à nos personnalités politiques pour manipuler l’opinion publique.
Anonymat :
- Message politique : l’anonymat sur internet est le problème. Il faut voter pour la loi Avia, supprimer le chiffrement de bout en bout et renforcer la surveillance !
- Réalité : on sait, depuis le début, qui a posté le contenu et comment il l’a obtenu. L’anonymat n’est absolument pas le problème. En fait, si Griveaux avait eu un sou de jugeote il se serait arrangé pour rester anonyme, et on n’aurait pas su que c’était son zob. Je répète parce que c’est vraiment important : un zob anonyme ne peut porter préjudice à son propriétaire. Grigri, il aurait été protégé s’il était resté anonyme.
- Raison cachée : ça fait longtemps que les gouvernements souhaitent détruire l’anonymat pour pouvoir suivre à la trace les individus sur internet, exactement l’opposé de la protection de la vie privée.
Vie privée :
- Message politique : le respect de la vie privée est primordial. Il faut voter pour la loi Avia, supprimer le chiffrement de bout en bout et renforcer la surveillance !
- Réalité : la meilleure façon de garantir le respect de la vie privée, c’est d’utiliser le chiffrage de bout en bout pour protéger ses contenus. Point. Les politiques qui disent le contraire sont soit des incompétents, soit des menteurs.
- Raison cachée : les gouvernements aimeraient beaucoup avoir accès à toute votre vie privée de citoyen non privilégié. S’il vous plaît, laissez-nous renforcer la surveillance et ne chiffrez pas vos communications.
Censure :
- Message politique : aujourd’hui on peut poster n’importe quoi sur internet. Il faut voter pour la loi Avia, supprimer le chiffrement de bout en bout et renforcer la surveillance !
- Réalité : oui, c’est vrai, il y a beaucoup de contenu illicite ou moralement inacceptable sur internet, et ceux-ci doivent être supprimés. Internet est le reflet de l’humanité, infiniment complexe et imparfait. Mais se servir du pire pour justifier une censure digne d’un état totalitaire, c’est semer les graines qui mènent à la dictature. Le pouvoir accordé aux personnes qui suppriment les contenus est énorme et doit faire l’objet d’un contrôle.
- Raison cachée : un gouvernement veut, par nature, renforcer le contrôle sur ses citoyens. Mais c’est plus facile à faire passer avec une bonne excuse.
Bref, si je n’ai rien à dire sur l’affaire Griveaux, je trouve honteuse la façon dont l’affaire est détournée pour servir l’agenda politique du gouvernement. Et si vous voulez voir comment réagit un vrai badass, regardez comment Jeff Bezos a fait face à un scandale similaire.